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La culture positive de l'erreur

Shirley Favre, membre ASC, a dédié son travail de Master de l'EMBA du leader manager responsable au thème de la culture de l'erreur. Elle partage avec nous son approche de la culture de l’erreur.


Un changement perpétuel

Malgré l'ampleur des changements de ces dernières années, nous constatons aujourd’hui une nouvelle accélération. Trois dimensions ont été identifiées : l'accélération du changement technologique, l'accélération du changement social et l'accélération du rythme de vie. Ceci réduit fortement le temps d’adaptation : si les changements passés ont pu être planifiés et préparés, aujourd’hui, nous n’avons plus le temps. Les évolutions que nous avons vécues n'ont plus rien à voir avec les ruptures et les changements de paradigme auxquels nous devons faire face de manière répétée et parfois brutale aujourd'hui. Nous vivons dans un monde volatil, incertain, complexe et ambigu (VICA) qui nous oblige à être plus agiles et à augmenter notre résilience ainsi que nos capacités à intégrer de nouvelles compétences pour innover et faire face aux défis futurs.

L'entreprise devient cognitive. Il ne s'agit plus d'ouvrir un livre ou de suivre une formation afin d'acquérir de nouvelles compétences, mais bien d'expérimenter et d'ouvrir des réseaux collaboratifs pour apprendre de ses propres expériences ainsi que de celles des autres. Ceci demande une tolérance et une ouverture à partager ses erreurs. Or, dans notre société, l'erreur est souvent liée à un sentiment négatif : reconnaître ses failles est souvent considéré comme un signe de faiblesse.

Toutes les organisations ont pour objectif de se pérenniser ainsi que de créer de la valeur, et pour cela, elles doivent gagner en agilité. Nous devons accepter de changer, alors que nous ne maîtrisons pas ce que nous faisons. Il devient dès lors nécessaire d'apprendre directement dans l'action et en expérimentant, mais cela nécessite de tolérer les potentielles erreurs qui ne manqueront pas d’apparaître, voire même à les permettre et parfois les provoquer. Dans une rupture de paradigme ou une situation inconnue, faire des expériences qui conduisent à des erreurs permet d'avancer et d'apprendre de nouveaux comportements, et par là même, d'augmenter nos performances.

 

Accepter les erreurs et en parler est une nécessité, or, cela n’est possible que si la culture de l'entreprise soutient cette démarche. Pour cela, trois cultures sous-jacentes y contribuent :

  • La culture juste (de l'équité)
  • La culture de l'apprentissage
  • La culture du reporting
     

Une culture juste (de l’équité)

Une culture punitive peut alimenter le sentiment de peur et pousser les personnes à cacher leurs erreurs ou à éviter à tout prix d'en faire, alors que dans certaines circonstances, cela est même favorable. Une culture totalement non-punitive - où tout est accepté - est également contre-productive : elle peut nous amener à perdre le sens de ce que nous faisons, à démotiver les personnes loyales et investies, ce qui peut avoir comme conséquence la destruction des valeurs communes de l'entreprise, créant ainsi du chaos.

La culture juste s'intéresse à chaque situation, dans son contexte. Si certaines erreurs sont portées par un sentiment et une volonté de bien faire, d'autres sont motivées par la négligence ou même la volonté de nuire. La culture juste prend en compte ce delta-là, non dans une volonté de réprimander, mais de restaurer.

 

La culture juste pousse à s'intéresser avec empathie à tous les acteurs autour de l'erreur. Elle prend non seulement les performances en considération, mais également les comportements et les attitudes.

Une culture de l'apprentissage

Nous avons besoin de créer des réseaux et des plateformes qui donnent un espace aux collaborateurs pour partager leurs expériences. On se rend compte que, si l'on ne crée pas cet espace et que l'on n’y dédie pas un certain temps, les activités s'enchaînent les unes derrière les autres et l’échange autour de l’erreur ne s’effectue pas. L’erreur va alors s’inscrire dans le passé, pour potentiellement se reproduire plus tard. De plus en plus d'entreprises créent des réseaux collaboratifs, non seulement au sein de leur organisation, mais également avec d'autres entreprises. Le temps qui doit être mis à contribution pour créer ces espaces de partages retient certaines organisations, mais qu'en est-il du temps perdu quand une erreur se reproduit ?

James Reason a créé le "swiss cheese model" qui illustre le fait que, lorsqu'un accident se produit, il y a souvent plusieurs facteurs. Dans bien des cas, l'accident aurait pu être évité si les "trous dans le fromage" avaient été identifiés, thématisés et solutionnés au préalable. Pour James Reason, il est essentiel d'aller voir derrière l'erreur humaine.

 

Une culture du reporting

"On ne peut pas changer la condition humaine, mais on peut changer les conditions dans lesquels les humains travaillent." James Reason, Human error: models and management; 2000; 320:768

Cette citation résume bien la culture du reporting : si la plupart d'entre nous avons grandi avec une éducation où nous étions sanctionnés lorsque nous nous trompions, il est difficile de changer notre rapport à l'erreur et d'abandonner la peur encrée en nous qui y est liée. Par contre, comme le dit James Reason, nous pouvons changer les conditions et l'environnement dans lequel nous travaillons pour créer un environnement bienveillant, permettant au collaborateur de parler en toute sécurité, et favorable à l'apprentissage. Dans un article du Harvard Business Review, le Professeur Amy Edmondson évoque l’environnement de travail à créer pour permettre d’apprendre de ses erreurs de façon optimale : "Uniquement les cadres peuvent créer et renforcer une culture qui contrecarre le jeu des reproches et fasse en sorte que chacun se sente en confiance et responsable pour se relever et tirer les apprentissages de ses échecs." Amy Edmondson; Strategies for learning from Failure; Harvard Business Review; 2011; April (traduit de l'anglais par auteur).

Conclusion

Pourquoi devrions-nous construire une culture de l'erreur si les cadres créent un environnement de travail favorable et bienveillant ? N'est-ce pas suffisant ?

La réponse est non, nous devons en faire beaucoup plus, il est important de thématiser l'erreur, d'en parler et d'être clair au sujet de ce que l'on accepte ou non dans notre organisation. Chaque collaborateur doit savoir ce qui se passe lorsqu'il commet une erreur, ce qu’il doit faire à ce moment-là : comment, quand et à qui la reporter. Au-delà de l’erreur commise, chaque employé doit aussi pouvoir comprendre son rôle et sa responsabilité dans un système plus vaste, pour avoir ainsi la possibilité d’influencer positivement la maturité, l'expérience et le développement de son organisation.

Les changements culturels n'arrivent pas par hasard. Construisons le monde de demain et choisissons aujourd'hui quelle culture nous voulons ou non pour notre organisation.

 


 

Shirley Favre, cheffe management support au sein de la base logistique de l'armée

Shirley Favre a travaillé pendant plusieurs années dans le domaine de la santé avant de s'engager dans le domaine de la formation, du développement du personnel et des organisations. Aujourd’hui, avec son équipe, Shirley soutient le développement du centre logistique de l'armée Grolley et de son personnel réparti sur toute la Suisse romande, dans ses enjeux présents et futurs. Ses domaines d’actions sont notamment le développement du leadership, l'accompagnement du changement, la santé et la sécurité au travail, ainsi que la formation.

Elle a dédié son travail de Master de l'EMBA du leader manager responsable au thème de la culture de l'erreur - un sujet qui la passionne tout comme l'être humain, ses interactions, sa complexité et sa relation à l'erreur. Selon elle, comprendre l'entreprise passe d’abord par comprendre ceux qui la constituent.